Bertrand Verdier, Cahier Critique de Poésie, 28 février 2017
9 jui
[…]
style pas travaillé que je nomme antéstyle
(compte tumbler de Maxime Actis : Jepersonne)
écriture en creux, faite de trous, de manques, de blancs. […] des détails, des fragments du réel […]. Chaque fois, c’est une composition par montage.
(Marina Bellefaye, présentation pour une résidence d’artiste, 2014)
C’est comme le vieux paletot de Rimbaud : c’est parce qu’il est abîmé qu’on voit les étoiles au travers.
(Maxime Actis à Marina Bellefaye, site Cequisecret, 22 éléments échangés)
Tu me demandais comment photographier la nuit.
(Jean-Marie Gleize : Tarnac, un acte préparatoire)
Les gens, il conviendrait de ne les connaître que disponibles, à certaines heures pâles de la nuit.
(Léo Ferré, Richard)
Je t’apporte l’enfant d’une nuit d’Idumée
(Stéphane Mallarmé, Don du poème)
Sous le plafond bas de ma petite chambre, est ma nuit, gouffre profond.
(Henri Michaux : La nuit remue)
Rodrigo Paestra enveloppé dans sa couverture brune, attend que passe la durée infernale de la nuit.
(Marguerite Duras : Dix heures et demie du soir en été)
Dans la nuit
Dans la nuit
Je me suis uni à la nuit
À la nuit sans limite
À la nuit.
(Henri Michaux : Dans la nuit)
Fra Angelico : La madone des Ombres
(vers 1450, « illustration non disponible »)
Un poème isolé n’existe pas. […] Ces poèmes […] sont des haltes d’une nuit. […] Deux choses inconséquentes peuvent se combiner et devenir une conséquence. C’est vrai aussi des poèmes. Un poème ne doit jamais être jugé seul. Un poème n’existe jamais seul.
(Jack Spicer, Lettre à Robin Blaser, 1958)
Une nuit d’inédit.
La littérature serait dedans et moi dehors
(Denis Roche : À quoi sert le lynx ? À rien, comme Mozart)
source: http://cahiercritiquedepoesie.fr/ccp-33-4/maxime-actis-ce-sont-des-apostilles
Jean-Paul Gavard-Perret, Lelitteraire.com, 9 novembre 2016
Sachant que les poèmes ne servent à rien, Maxime Actis les remplace par des codiciles. Et le lecteur s’en contente plus que largement. Il préfère l’empilement de ces petites fatrasies : qu’importe si finalement l’incompréhension de la réalité est au rendez-vous. Un « vrai » poème ne ferait pas mieux. Il convient de préférer le travail de la perte par souci du détail.
Reprenant une veine initiée par Tarkos, Bianu, Munier et Pennequin jaillit tout ce qui ne compte pas et reste superfétatoire. Actis réussit son coup là où Mallarmé lui-même est « traduit du français au français ». C’est irrévérencieux à souhait et c’est délectable. Le rebut reprend droit de citer. Monte à la surface du texte un état d’attente qui produit ses effets. La langue reste pendante durant le défilé des images dans un « film » tout sauf muet.
Un saint dépasse parfois. On le croit calme et timide mais de fait il aime faire monter à la surface ce qui clapote. Si bien que le texte devient un délicieux repas bien supérieur au concombre. L’enflure gronde et pavoise. Mais de manière rebelle. Le livre prouve que ce que tout poète expose ou exprime est une note en marge d’un texte totalement effacé. Nous pouvons plus ou moins, d’après le sens de telles apostilles déduire ce qui devait être le sens du texte premier. Mais il reste un doute…
source: http://www.lelitteraire.com/?p=25689
Bruno Fern, Sitaudis.fr, 26 octobre 2016
Loin de tous ceux qui prétendent incarner la nouveauté tandis qu’ils ne font que répéter (avec, le plus souvent, un taux élevé de déperdition) ce que faisait déjà Christophe Tarkos il y a vingt ans ou ce que fait aujourd’hui Charles Pennequin (pour prendre des exemples qui ont particulièrement la cote ces temps-ci, les deux écrivains cités n’étant évidemment pour rien dans ce suivisme), voici un jeune1 auteur dont le premier ouvrage semble prometteur.
En effet, il y a dans ce petit livre la prise en compte de quelques éléments qui me paraissent essentiels. Liste non exhaustive : tout d’abord, la composition de l’ensemble, véritable suite ayant son unité formelle (« ce sont des apostilles, addendum au singulier, addenda au pluriel : des ajouts. ») et « thématique » (le fil conducteur de la nuit, conçue à la fois comme emblématique d’une opacité à laquelle l’auteur tente de donner forme et comme bain révélateur de ce qui passe ordinairement inaperçu), ce qui n’exclut pas la variété des « objets » dont il est question, des rainettes et des « copains qui jouent les chiens » jusqu’à Fra Angelico ; ensuite, justement, un heureux mélange des registres, du trivial au dit savant (« ayant lu onyx dans les toilettes / j’ai traduit longtemps Mallarmé et de plusieurs manières / du français au français »), à l’opposé de toute épuration, encore très pratiquée par les adeptes du poétiquement correct; enfin, un phrasé calculé, échappant aussi bien au vers lambda qualifié de libre mais qui se résume trop fréquemment à un découpage de grammaire fonctionnelle2 qu’à la logorrhée non ponctuée qui fait parfois illusion lors du passage à l’oral.
En dernier lieu, il faut également souligner que l’attention dont Maxime Actis fait preuve dans son écriture, y cherchant « la formulation exacte des choses qu’on ne perçoit pas habituellement », ne l’empêche pas de mesurer avec lucidité à quel point le périmètre d’action du poème ne peut être que restreint :
un poème, mon cher Jack3 ça ne sert à rien, un poème
ça ne sert à rien, deux poèmes qui sait
j’ai envie de les empiler et d’en faire un tas
même si à la fin le risque est une certaine
incompréhension de la réalité
travailler la patience pas la discipline
le détail seulement
1 Maxime Actis est né en 1990 : http://seriediscrete.com/auteur-maxime-actis/
2 Cf. La vieillesse d’Alexandre de Jacques Roubaud, dont les analyses sont toujours d’actualité, hélas.
3 Spicer.
source: http://www.sitaudis.fr/Parutions/ce-sont-des-apostilles-de-maxime-actis.php
Julien d’Abrigeon, Junkpage, octobre 2016
Ce sont des apostilles. Le titre de ce recueil de Maxime Actis annonce la couleur. « Ce sont des apostilles, addendum au singulier, addenda au pluriel, des ajouts. » La poésie comme ajout, rajout à la réalité, une réalité augmentée somme toute. Actis décrit une nuit, de nuit, ses détails, en plaçant sa poésie discrète sur ces restes du jour qui disparaissent. Il installe page après page des notes sur le réel, un peu surréelles, comme des strates superposées sur cette nuit, en transparence.
Toutefois le poète parvient facilement à éviter la monotonie de ce type de délicatesse. On n’est pas dans la poésie niaise des « petites choses », des « petits riens », des poses chichiteuses. La finesse n’est pas feinte, n’est pas seulement dans le propos, elle transpire de l’écriture. Actis s’arrête dans ce temps hors du temps, le recrée pour son lecteur, en traquant tout détail, jusqu’au plus trivial : « Ayant lu Onyx sur un détergent dans les toilettes / j’ai traduit longtemps Mallarmé et de plusieurs manières du français au français / c’est le goût de cette nuit-là. »
Le livre d’Actis traverse la nuit, la campagne, pour finir sur l’art poétique : « Le détail seulement / répéter ça, préciser ces gestes / pas trop de figures / il faut parfois s’entraîner à voir les choses dans le noir » et cela, jusqu’au matin qui explose.
Après la lecture de ce petit recueil paru dans cette nouvelle maison, décidément à suivre, qu’est Série discrète, on ferme le livre comme on quitte une nuit blanche, on rouvre des yeux qu’on n’a pourtant jamais fermés, hagard et ébloui.
source: http://journaljunkpage.tumblr.com/post/151286845085/rien-ne-soppose-%C3%A0-la-nuit