Presse – Patrice LUCHET

Jean-Pierre Bobillot, Cahier Critique de Poésiejuin 2016

D’emblée, ces sonnets – ce sont des sonnets1 –, imprimés à la verticale aux seules pages impaires, frappent par l’inégalité de leurs vers, volontiers très longs, ou très courts, et le mode de numérotation de ceux-ci, à la marge de gauche : 2 chiffres + la lettre h + 2 chiffres forment une indication horaire concernant, selon toute plausibilité, le contenu référentiel du vers qui la suit, et ainsi de suite – les 4 vers du 1er quatrain se voyant attribuer la même indication temporelle2, les 4 du 2e quatrain la même + 1 minute, et ainsi de suite pour les 3 vers de chaque tercet : chaque sonnet résumant donc 4 minutes successives, jamais dans la continuité temporelle du précédent ou du suivant, l’ensemble couvrant une journée d’été, comme le suggère le titre.
Banale journée de loisirs au bord de la mer : familles, jeune couple, bande d’amis, feu d’artifice, soirée anniversaire ; routine et petits événements plus ou moins futiles, ou troublants, sans plus ; réflexions amusées ou piquantes, voire mordantes, vite oubliées : les secondes se bousculent, les minutes, écume, même si le temps semble immobile. Sous l’anodin, parfois, pointe le métaphysique : « 08h04 le plein pour s’effacer », « 10h02 conserver le sensible »…

source: http://cahiercritiquedepoesie.fr/ccp-32-2/patrice-luchet-le-sort-du-parasol


Julien d’Abrigeon, Junkpage, 3 janvier 2016

Patrice Luchet écrit beaucoup, mais hors des livres. Il préfère au papier les publications orales. En près de vingt ans de présence dans le monde poétique (lectures, performances…), nous n’avons lu de lui qu’une seule petite plaquette. C’est dire si Le Sort du parasol est rare. Et, par sa rareté, ce choix de la publication devient publiaction : tout d’abord, le livre se penche, passe à l’horizontale pour ne pas tronquer les longs vers libres. Chaque page, ensuite, apparaît comme une suite d’actions horodatées, une strophe par minute.
En y regardant de plus près, on repère alors la construction en sonnet mais — ne fuyez pas — Luchet réactive la forme, la recrée à sa mesure pour des micro-récits rappelant tout aussi bien les Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon que le Témoignage, États-Unis, 1885-1890 de Charles Reznikoff. Tout part de rien, on s’embarque à chaque fois pour une action anodine et trois strophes-minutes plus tard quelque chose a déraillé en route. Rien n’est dit, le drame est suggéré, suspendu à l’angoisse du lecteur qui imaginera toujours le pire.
La station balnéaire dans laquelle se déroule ces vingt-quatre heures, un poème pour chacune, quitte peu à peu sa tranquillité pour sombrer dans l’amoncellement de drames, minuscules ou majuscules. Un chien qui traverse, une route à prendre, un parasol mal planté : tout est bon pour faire vaciller le poème-récit vers le polar miniaturisé. Tout est aussi fin que le sable de cette plage et baigné d’une douce ironie dénuée de cynisme. Une fois la journée relatée finie, on se prend à relire l’ensemble dans le désordre pour replonger une fois encore dans ces instantanés tragi-comiques.
Le Sort du parasol est le troisième livre édité par Série discrète, une nouvelle maison d’édition bordelaise dont le nom correspond parfaitement à ce drôle de recueil. 

source: http://journaljunkpage.tumblr.com/post/136533276540/life-is-a-beach